11 décembre 2023
Il n’y a aucun doute que la francophonie au Liban est en déclin, un signe avant-coureur de fractures à venir. Avec l’arabe qui a chassé le français comme langue officielle, l’anglais américain domine dans tous les domaines, dans la rue comme dans les institutions. Le Liban n’est évidemment pas seul, puisque la langue française elle-même en France, on ne cesse de nous le dire, assimile une centaine de mots anglais par mois. La majorité des universités et écoles libanaises sont devenues soit entièrement anglophones, soit mi-anglophones, mi-francophones avec ce dernier qualificatif comme le parent pauvre du premier, comme une relique d’un passé dont on ne peut s’en passer tout d’un coup et qu’on entretient comme un ancêtre mourant. Un nombre de ces institutions n’a en fait aucun scrupule à coller « American » quelque part dans leurs noms.
Le catholicisme était la charnière qui joignait les maronites du Liban et la France depuis l’Antiquité (les maronites ayant soutenu les thèses doctrinales occidentales dans le conflit qui sépara Rome de l’église orthodoxe), puis avec les croisades. La France de nos jours n’est plus catholique, n’est plus la fille aînée de l’Église, ni officiellement ni dans le quotidien des français. La France est un pays laïc, séculaire, et même athée. Alors, seule une droite française catholique et nostalgique de la monarchie, elle-même en déclin du fait de son racisme et de ses idées réactionnaires et révisionnistes, offre un soutien timide et médiocre à ses anciens alliés maronites.
Depuis que les maronites, dans leurs politiques de primates montagnards machistes, ont évincé la France, leur protectrice séculaire, en 1943 pour obtenir l’indépendance du Liban, la France n’a plus soutenu le Liban ni les maronites politiquement. Bien entendu, il existe toujours des nostalgiques du Mandat français, surtout parmi les conservateurs ultrareligieux des maronites, mais les faits sur le terrain prouvent que la France ne trouve plus dans le Liban cet espace postcolonial qu’elle continue de cultiver en Afrique par exemple. Le Liban n’a pas de ressources naturelles et n’offre même pas le potentiel d’un pays en développement dans les domaines de pointe en technologie et en science. Le Liban est un pays qui consomme, qui ne produit rien et n’invente rien, et n’est qu’une source pérenne de problèmes à résoudre.
Depuis l’avènement de l’État d’Israël, qui à l’origine était une colonie britannique destinée à assurer à l’Empire l’accès au pétrole moyen-oriental, et que les américains ont par la suite récupérée, toute la région du Proche et Moyen-Orient s’est mise à l’horloge anglo-saxonne. Et comme Israël est de loin plus avancé que le Liban du point de vue du développement technologique, il a graduellement supplanté le Liban comme porte d’entrée ou comme poste de garde occidental dans la région. Pendant le XIXe siècle, la « Question d’Orient » consistait à défendre la minorité chrétienne – c’est-à-dire les maronites – et servait donc de prétexte à l’Occident pour intervenir dans la région. Ce prétexte était plutôt d’ordre moral, celui de défendre les chrétiens contre la menace musulmane, ottomane au départ, ensuite arabe. Aujourd’hui, après la Shoah et le gigantesque complexe de culpabilité que s’est infligé toute l’Europe pour sa responsabilité dans la Shoah, Israël a non seulement remplacé le Liban comme poste-frontière de l’Occident au Proche-Orient et donc comme prétexte d’intervention, mais est devenu également l’objet de cette même sympathie morale dont bénéficiait le Liban chrétien du XIXe siècle. Mais surtout, Israël est anglophone et maintes fois supérieur au Liban en science et technologie. Il est aujourd’hui un bastion plus solide de défense occidental au Proche-Orient que ne l’a jamais été le Liban. De plus, les libanais chrétiens ne sont pas fiables ; je rappelle encore une fois que ce sont les maronites de 1943 qui ont chassé leur protecteur français du Liban, alors que la France était à genoux, vulnérable et occupée par l’Allemagne nazie.
À part la morale désuète d’un christianisme archaïque en déclin, surtout avec les maronites qui ne cessent d’envoyer des candidats à la béatification an Vatican, qui ne cessent de construire des statues géantes de saints et de la Vierge sur les sommets de leurs montagnes, au lieu de construire des laboratoires de recherche et d’investir le prétendu « génie » libanais à des fins plus humanistes, moins mercantiles, et sans cette ferveur religieuse de l’âge du bronze qui n’est d’ailleurs pas pratiquée dans le quotidien maronite (donc bigoterie), le Liban et ses chrétiens n’ont vraiment rien à offrir à l’Occident en général et à la France en particulier.
La politique actuelle de la France face aux crises éternelles du Liban n’en est que la preuve : la France paraît fatiguée du Liban et n’a aucune prise sur les interminables crises et événements qui se succèdent. Alors la solution du gouvernement Macron serait : qu’on en finisse avec la crise libanaise, quel qu’en soit le coût, même s’il faut maintenir l’Iran et le Hezbollah dans la structure de gouvernance libanaise. Nous avons d’autres chats à fouetter que ce pays qui ne nous offre que des maux de tête sans pour autant que nous puissions en récupérer un tant soit peu quelque bénéfice commercial ou même culturel. De fait, la France aujourd’hui a presque honte de son amitié avec le Liban qui n’offre à la France révolutionnaire, anticléricale, et laïque qu’une ultra-religiosité obsolète.
Dans le bon vieux temps, quand la France était encore une puissance mondiale – et coloniale – de premier rang, elle envoyait une frégate ou débarquait des troupes. Même les américains, dans leurs naïfs débuts de puissance mondiale, avaient envoyé les marines ; seuls en 1958, puis avec la France en 1982, pour sauver un pouvoir maronite chancelant, corrompu et indigestible par ses complexités. Mais devant l’ampleur de l’incompétence des maronites, de leur féodalisme aberrant, de leurs pratiques mafieuses, et de la facilité avec laquelle ils intervertissent leurs loyautés en faveur de tout courant dominant, en l’occurrence l’américain, la France n’a plus rien à gagner de leur soi-disant amitié avec le Liban et ses maronites.
Quand l’Iran et la Syrie avaient kidnappé le Liban dans les années 1970 et 1980, l’Occident et la France hésitaient beaucoup à venir à la rescousse du pays du Cèdre. En fait, les Arabes, les Syriens et les Iraniens avaient fait quelques gains timides sur le terrain de la guerre libanaise de 1975 grâce à une indifférence occidentale motivée par le désir de ne pas mécontenter ces acteurs, détenteurs de pétrole et usagers du terrorisme. Rappelons que les vagues d’attentats à la bombe dans la France des années 1980, perpétrées par le duo syro-iranien alors même que ce duo faisait la même chose au Liban, n’ont pas été confrontées avec la fermeté qu’il fallait. L’Occident – la force multinationale composée de britanniques, français, américains et italiens – était venu primordialement à la rescousse des Palestiniens de Yasser Arafat qui évacuaient Beyrouth suite à l’invasion israélienne de 1982, et non du dernier gouvernement maronite libre que le Liban ait connu. Mais le terrorisme syro-iranien a eu raison des nerfs des occidentaux qui se sont retirés du Liban – à la suite des attentats d’octobre 1983 contre les US Marines (241 morts) et les parachutistes français du Drakkar (58 morts), laissant le pays aux mains des dictatures vulgaires de Damas et Téhéran. Le Liban ne s’en est jamais sorti et continue d’en souffrir jusqu’à ce jour. Une évidence que l’Occident, surtout la France, a abandonné le Liban à son « giron » arabo-musulman. Les chrétiens millénaires du Liban ne représentent plus l’Occident au Proche-Orient. Ils ont cédé la place aux nouveaux venus colons judéo-européens d’Israël.
Les chrétiens libanais font face à un immense double défi : survivre d’abord, en dernier bastion de chrétienté libre, quoique archaïque, en Orient, mais surtout s’adapter, avoir le courage de défier leurs propres idées reçues depuis des siècles, se moderniser en profondeur et en substance, et non superficiellement comme ils le font aujourd’hui, intégrer la science dans leur pensée et leur vivre quotidiens et non seulement comme instrument de commerce, se diversifier intellectuellement au sein même de leur communauté en rejetant un monolithisme religieux qui étouffe leur évolution, en adoptant des politiques et des postures plus libérales, moins conservatrices, qui seraient conformes à l’évolution des sociétés occidentales libérales dont ils continuent de se réclamer, malheureusement à tort.
* Cette pièce a été publiée précédemment dans le courrier des lecteurs du quotidien L’Orient-LeJour du 18 juillet 2023